Home
Tiger & Bamboo collectioncredits
       
     
  “Monstre de l’obscurité et de la nouvelle lune”, “Seigneur de la Montagne”, “Roi des Bêtes sauvages”...
Depuis la nuit des temps, le tigre est l’objet de nombreuses croyances et légendes asiatiques. Associé à la Lune et au cycle lunaire, il a une valeur initiatique: c’est lui qui, conduisant l’initié à travers la forêt, lui permet de renaître spirituellement. Dans la mythologie chinoise, il représente d’ailleurs l’élément Feu, symbole de purification qui lave le monde de ses souillures. Lune et feu, pleine lune et nouvelle lune, lumière et obscurité, orange et rayures noires, le tigre est un animal considéré à la fois Yin et Yang. C’est cet équilibre qui lui a valu, en Chine, l’appellation de “Roi des Bêtes sauvages”. Ceci, et la croyance qui veut que l’on retrouve, sur le front de l’animal, le caractère chinois wang, Roi. Il n’est donc pas surprenant que le tigre, force de la nature, soit également force protectrice des maisons et des temples.

Le Bouddhisme adapte ce symbole à ses enseignements: la force du tigre devient force spirituelle
nécessaire à affronter toutes les adversités de la vie. Courageux et déterminé, il est un exemple à suivre.
Mais même le plus vaillant des guerriers doit faire preuve d’humilité: le tigre nécessite l’aide du
frêle bambou. “La force, le courage et la détermination du tigre sont insuffisants pour surmonter les épreuves auxquelles nous soumet la nature, l’on a également besoin de la flexibilité du bambou”.
La représentation graphique du bambou a toujours fasciné les artistes taoïstes chinois et, plus tard, les artistes zen japonais. La ressemblance entre bambou et traits de pinceau a transformé le dessin de cette plante en calligraphie, formant une expression graphique de la pensée, un langage exprimant l’ineffable, permettant au peintre et aux contemplateurs de l’oeuvre d’entrer en osmose avec la nature.
“L’art oriental peint l’esprit, l’art occidental peint la forme”, écrit le peintre Suzuki.
Or voilà que ces mêmes traits délicats de pinceau qui dessinent des bambous se retrouvent dans les rayures du tigre. L’animal contient donc en son sein non seulement la vigueur, la force, le mouvement, le changement, mais également tous les aspects liés à la plante: la fragilité, la flexibilité, et surtout la longévité.
Eternité d’une part, changement de l’autre, la dualité du tigre suggère le mouvement perpétuel du monde, au centre de la philosophie Zen nipponne.

L’on n’a aucune trace de représentations de tigres au Japon avant l’arrivée du Bouddhisme au
VIème siècle. Par l’intermédiaire de moines coréens, ce dernier se diffusa rapidement, apportant son architecture, sa sculpture, sa peinture, son écriture, et ses symboles, tigres et bambous compris. En 894, la cour nippone cesse tout contact officiel avec la Chine.
Les artistes, cherchant à distinguer l’art japonais de celui chinois, insèrent dans les paysages de nombreuses plantes indigènes. C’est le cas notamment du pin, arbre fréquent au Japon, qui, étant lui-même symbole de longévité, remplace bien souvent le bambou.

Pendant la période Kamakura (1185-1333), les contacts avec la Chine reprennent. Pendant près d’un siècle, l’art et le mode de vie chinois influencent à nouveau fortement la pensée et l’esthétique japonaises.
C’est d’ailleurs en adoptant le style de peinture chinois que naît l’école artistique Kano, au XVème siècle. Cette école, fondée par Kano Masanobu, très proche de grands temples Zen, devient la plus influente école de peinture du Japon.
Le fils de Masanobu, Motonobu, ajoute au style chinois de son père des éléments décoratifs traditionnels.
Mais c’est son petit-fils, Eitoku, qui révolutionne la peinture nippone: pour s’adapter à la clientèle de
l’époque, des seigneurs de la guerre qui exposaient leur puissance en construisant d’imposants châteaux, il ajoute à ses oeuvres de la force et du dynamisme.
Il réalise toute une série de portes coulissantes et de paravents, qu’il décore avec d’immenses animaux aux proportions exagérées, illustrant le pouvoir et la force des seigneurs commanditaires.

L’école Kano continue de prospérer pendant près de quatre-cents ans, trouvant ses principaux
clients parmi les Samurai et les moines bouddhistes.
Les sujets des peintures sont donc bien souvent communs à ces deux catégories. C’est ainsi que les tigres et les bambous, symboles chers au Bouddhisme, sont adoptés par les Samurai: qui d’autre mieux que le fascinant et majestueux tigre pourrait les représenter?
Les bambous, quand à eux, ne marquent plus l’éternité, ni la flexibilité: ils deviennent une métaphore des marchands et paysans qui servent les Samurai. Un ancien proverbe japonais dit que le plus fort doit protéger le plus faible et, en échange, le plus faible servira le plus fort - le tigre éloigne tout prédateur des bambous et, en échange, les bambous lui offrent une tanière parfaite. En identifiant le tigre aux guerriers japonais, sa représentation finit par en être modifiée: sa taille augmente considérablement, ses épaules sont nettement plus larges, il apparaît plus imposant, plus
menaçant, et beaucoup moins réaliste.
Sa gueule arbore les même grimaces difformes que les masques des Samurai, visant à effrayer leurs ennemis.

L’image du tigre dans la peinture japonaise est à nouveau modifiée par une autre école du XVIIIème
siècle, l’école Maruyama-Shijo. Mélangeant les figures stylisées et exagérées de l’école Kano aux techniques de peinture à l’encre de Chine de l’école Nanga, l’école Maruyama-Shijo est une synthèse des deux styles dominants de l’époque, à laquelle s’ajoutent des éléments humoristiques, repris du style Giga japonais.
Ce dernier, apparu pour la première fois au XIIème siècle, représente des animaux humanisés,
comme ceux des bande dessinée. Il sera d’ailleurs à
l’origine du manga.
“Si tu dessines mal un tigre, il ressemblera à un chien”, dit un proverbe chinois. A partir de l’école Maruyama-Shijo, les tigres japonais ont plutôt l’air de gros chats.
Un regard moqueur humanisé, un corps rondouillet, des rayures stylisées et des couleurs improbables...
Ces tigres n’ont quasiment plus rien du féroce prédateur.
Ils n’intimident plus qui les contemple, au contraire!
Leur côté comique, grotesque, les rend semblables à des animaux domestiques. Qui contemple un
tel tigre a l’impression de contrôler, de dominer le terrible “Roi des Bêtes sauvages” et, à travers lui, toutes les forces de la nature.